Pourquoi la Belgique ? Pourquoi les jésuites ?
Au début du XXe siècle, le gouvernement français a voulu prendre à sa charge les écoles comme les hôpitaux, rompant totalement avec les accords passés depuis le concordat de 1801.
« Quel conflit, dans l’histoire contemporaine, fut plus inéluctable que celui qui à l’aube de la IIIe République, oppose l’Eglise à l’Etat, ou, mieux, le cléricalisme monarchique exprimant dans ses profondeurs la société catholique du temps et l’anticléricalisme en quelque sorte biologique où les fondateurs du régime surgit des ruines du second Empire voyaient le fondement de l’entreprise ! »
Jean Lacouture, Jésuites – tome 2. Les revenants, Seuil
Lois Ferry : l’école laïque est créée
Le XIXe siècle avait vu un développement extraordinaire des congrégations religieuses consacrées à des œuvres diverses (hôpitaux, aide sociale, assistance et surtout enseignement) selon les normes du concordat.
En 1880, les lois Ferry rendent l’école publique gratuite et obligatoire et créent les écoles normales pour les instituteurs. Elle entraîne un premier exode qui concerne surtout les congrégations d’hommes non autorisées. En 1886, une loi propose une simple déclaration pour obtenir cette autorisation.
Mais l’affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle, va accentuer cette division des deux France et engendrer un climat d’affrontement radical qui durera de l’été 1901 à l’année 1910.
Loi de 1901 : une loi anti-congréganiste
La loi votée en 1901, sous le gouvernement Waldeck-Rousseau, est une loi saluée par tous aujourd’hui comme une loi de liberté qui permet à tout citoyen de constituer une association. Mais l’article 13 du titre III comporte un volet anti-congréganiste. Le but du pouvoir était d’obliger toutes les congrégations, quelles que soient leurs activités, à demander une reconnaissance légale. Pour « les associations dont les membres vivent en commun », son application remettait en cause l’habit religieux et l’exercice des vœux. L’exil des congrégations, notamment vers la Belgique et l’Italie, s’accélère.
Loi de 1905 : les congrégations se retirent des écoles
Émile Combes, arrivant au pouvoir en 1902, fait de cette loi une interprétation restrictive. Dès le mois de juin, il fait fermer par la force les « écoles irrégulières ». Il parachève son action avec la loi du 7 juillet 1904 par laquelle « l’enseignement de tout ordre et de toute nature est interdit en France aux congrégations. » Cet enseignement ne peut être désormais exercé que par des laïcs. L’État ne donne plus aucun subside aux congrégations. L’opposition des deux France est alors à son comble.
La législation anti-congréganiste aboutit en 1904 à l’exclusion complète des religieux et religieuses de toutes les écoles dans le cadre du processus de séparation de l’Église et de l’État. La loi de 1905 relève en effet, pour de nombreux laïcs, d’un processus d’émancipation à l’égard de la religion et pour les catholiques, d’une entreprise de spoliation, de persécution de l’Église.
L’exode des congrégations vers la Belgique
30 000 départs pour la seule Belgique : 4000 frères des Écoles chrétiennes, 2100 jésuites, 700 frères maristes, 850 ursulines….. Les congréganistes sont d’abord les jésuites ou des contemplatifs qui ont refusé toute démarche d’autorisation. Ils quittent le pays dès la fin du mois d’août 1901. Les enseignants les suivent massivement en 1903 et 1904, jusqu’à la veille de 1914.
Les congrégations tentent, partout où cela est possible, de recruter les clientèles scolaires locales. Une éducation à la française séduit encore beaucoup les élites européennes. C’est le cas des jésuites en Belgique, à Antoing dans le Hainaut, Florennes dans la province de Namur, au Tuquet (Mouscron) et à Marneffe (Liège).
Le succès des jésuites
Les collèges de l’exil ont rapidement trouvé leur rythme de croisière, jusqu’à la Première Guerre mondiale et pour ceux de Belgique jusqu’en 1919. Au total, ils ont accueilli 818 jeunes à Florennes, 668 à Antoing , 624 au Tuquet et 400 à Marneffe. Le recrutement de Florennes va du Pas-de-Calais à la frontière alsacienne. C’est la France huppée qui se presse dans les collèges exilés.
Le fait que Jersey, Antoing et Florennes préparent avec succès à des écoles phares de la République et de son Armée inquiète le camp laïc. Aussi la Compagnie de Jésus et les autres congrégations d’hommes insistent-elles fortement sur leur apport patriotique quand sonne l’heure de la guerre. Les jésuites en exil sont tout autant soucieux d’inculquer l’hostilité à la République que le service à la patrie, une patrie éminemment catholique. Il s’agit de former des meneurs pour le bien.
L’influence des jésuites sur le parcours de Pierre Leclercq
Pierre Leclercq fait ses études classiques de 1905 à 1912, dans une institution religieuse à Frolennes dans la province de Namur en Belgique (à ne pas confondre avec Froyennes). Il est intéressant de s’interroger sur l’importance de l’éducation qu’il a reçue là-bas en se référant à des documents et notamment celui de Patrick Cabanel1 ou l’article de Xavier Dussautoit2.
On peut ainsi évoquer clairement le rôle de la formation de Pierre Leclercq, de 1904 à 1912 à Florennes, dans la construction de homme qui est devenu ce patriote, avec une inclinaison royaliste, ce meneur, ce tribun, ce chef de famille soucieux de transmettre la valeurs chrétiennes ; cet homme qui a devancé l’appel en 1914, qui a été reconnu comme un chef pendant la
guerre, qui a pris d’emblée des responsabilités pour son village et qui est devenu une figure respectée du monde agricole.
A noter : Le frère de sa mère, Paul Cambron (1878-1959), est jésuite. Il a été formé à Antoing et a résidé en 1949 à Florennes.
- CABANEL Patrick, DURAND Jean-Dominique, Le grand exil des congrégations religieuses françaises, 1901-1914 , Archives de sciences sociales des religions ↩︎
- DUSAUSOIT, Xavier, Les collèges des jésuites en Belgique (1831-1914) : Entre guerres ouvertes et tensions latentes In : Éducation, Religion, Laïcité (XVIe-XXe s.) ↩︎