Beauvoir en trois actes : une saga familiale

Nous avons ici tenté de résumer la saga de Beauvoir à travers les personnalités qui l’ont occupé. Dans notre famille depuis plus de 200 ans, le château a traversé les siècles et ses événements.

C’est à partir du travail de Gabriel Leclercq et de Claude Leclercq que nous avons pu retracer cette histoire : un immense merci à tous les deux.

Nous sommes également partis enquêter au château. Danielle Riss nous a réservé un très bel accueil et nous a permis de finaliser l’article. Nous lui adressons toute notre gratitude !

Acte 1 : Avant Marie et Florent

Scène 1 : La construction du château

Aujourd’hui encore habité par des membres de notre famille, le château de Beauvoir, a été construit entre 1780 et 1785 par Ange Guislain de Beaulaincourt et sa femme Alexandrine de Génevières de Samette (son nom officiel était Albertine). C’est elle qui hérite des terres de Beauvoir. Ils auront dix enfants dont l’aîné Ange Philippe qui naît en 1772.

Scène 2 : Drame lors de la Révolution française

La révolution va bousculer la vie d’Ange Guislain de Beaulaincourt et de sa femme Alexandrine. En 1791, la famille est expropriée et doit partir à Arras. Ange Philippe, le fils aîné, quitte la France pour se rendre en Espagne avec son régiment. Il y restera une trentaine d’années.

Le château est mis sous séquestre en 1794, date à laquelle Ange Guislain est guillotiné. Alexandrine se retrouve alors veuve. Elle est emprisonnée avec ses enfants. Le mobilier du château est vendu au profit de la nation. Nous reviendrons sur cette épisode marquant de l’histoire de la famille dans une saison future.

Ange Guislain de Beaulaincourt
Alexandrine de Génevières de Samette (nom officiel: Albertine)
Ange Philippe de Beaulaincourt, leur fils aîné
Scène 3 : Un Ange succède à un autre

En 1795, Alexandrine -qui a échappé de justesse à la guillotine- demande à rentrer à Beauvoir, mais cela lui est refusé. On ne sait pas précisément quand elle a pu y revenir : des traces prouvent qu’elle habitait Beauvoir en 1819, mais peut-être a-t-elle pu réintégrer les lieux avant ?

Trois ans après son arrivée en Espagne, Ange Philippe se marie avec avec Raymonda de Guardia y Ardevol. Celle-ci décède six ans plus tard, après avoir mis au monde quatre enfants dont deux morts prématurément. En 1821, après trente années passées à Barcelone (et des allers-retours réguliers en France), Ange Philippe rentre de son exil et revient à Beauvoir, avec ses fils : Joseph et Melchior.

Il se marie en deuxième noce à Albertine Aubron. De ce mariage naît à Beauvoir Marie Albertine de Beaulaincourt. Elle épousera Henri Guichard en 1851.

A la mort d’Ange Philippe, c’est son fils franco-espagnol Joseph de Beaulaincourt qui hérite du château. Il est nommé maire de Beauvoir en 1843 et le restera jusqu’à sa mort en 1874. C’est à cette date que sa demi-sœur Marie Albertine hérite à son tour du château, ses frères étant tous décédés.

Acte 2 : Marie et Florent

Scène 1 : Une romancière et un magistrat au château

Fille d’Henri et de Marie Albertine, Marie Guichard naît en 1856 à Abbeville. Elle y fait ses études et y rencontre un jeune magistrat, Florent Leclercq, qu’elle épouse en 1883. Le jeune couple s’installe au château, cohabitant ainsi avec la génération précédente. (Cliquez ici pour voir leurs arbres généalogiques.)

Florent Leclercq et Marie Guichard mettent au monde trois enfants : Maurice (1884), Michel (1889) et Colette (1891) Leclercq.

Marie Guichard
Florent Leclercq
Maurice Leclercq, Michel Leclercq et Colette Leclercq

Florent et Marie ont trois sources de revenus : la ferme de Beauvoir dirigée par Florent et exploitée par un commis, le portefeuille d’actions géré par Florent, les droits d’auteur de Marie. En effet, dès 1885, Marie entame une activité de romancière sous le pseudonyme de Mary Floran. Elle publiera plus de 40 romans.

Florent s’implique à Wavans : il est élu conseiller municipal de 1888 à 1935. Sur cette période, il sera maire durant 20 années.

Scène 2 : La Grande guerre : un lieu refuge pour les Detournay

Pendant la Première Guerre mondiale, Michel est mobilisé. Florent et Marie quittent donc temporairement Beauvoir pour s’occuper de sa ferme, située dans l’Eure. Le château, un instant délaissé, trouve rapidement de nouveaux occupants puisque la famille Detournay y trouve refuge en 1914-15.

En effet, Henri Detournay (cousin de Florent) est également mobilisé au début de la guerre. Sa femme, Marie Cambron, reprend en main la ferme de Givenchy où elle accueille sa sœur Valentine et sa nièce Marie réfugiées depuis Rouvroy. Le 5 octobre 1914, apprenant que les allemands approchaient, Marie et Valentine Cambron ainsi que leurs enfants, quittent précipitamment Givenchy pour rejoindre le Château de Beauvoir. Celui-ci était alors gardé par un ménage de domestiques, suite au départ de Florent et Marie Leclercq. La famille Detournay-Cambron restera à Beauvoir jusqu’en septembre 1915.

En juin 1916, le château est en partie réquisitionné pour héberger des officiers anglais. C’est pendant la Première Guerre mondiale que Colette Leclercq, alors âgée de 25 ans, fait la connaissance d’un jeune lieutenant français, Henri Chapuis. Elle l’épousera en octobre 1917.

La ferme de Michel à Chauvincourt, dans l’Eure
Colette Leclercq et Henri Chapuis
Scène 3 : Un déracinement douloureux

A la mort de Marie en 1934, Florent part vivre chez son fils Michel, à Brienon-sur-Armançon.

« Quoiqu’entouré des soins les plus affectueux, ce fut pour lui un déracinement douloureux ; il étant « tant attaché à son cher Beauvoir », écrivait-il. » (Gabriel Leclercq, Famille Leclercq de Beauvoir).

Florent décède à Brienon en 1937, il est inhumé à Beauvoir.

Acte 3 : Après Marie et Florent

Scène 1 : Maurice, le journaliste, prend le relais
Maurice Leclercq

Maurice, le fils aîné de Florent et Marie, reste proche de Beauvoir durant ces années. Journaliste talentueux et passionné, il entame sa carrière à Paris où il collabore à de grands titres nationaux et internationaux. Il se marie en 1914 avec Marie Decrept et le couple s’installe à Boulogne-sur-Mer. Ils ont quatre enfants : Bernard (1914), Marc-André (1921), Paule (1923) et Philippe (1925).

Marie Decrept et Maurice Leclercq

Entre 1934 et 1939, la famille circule fréquemment entre Beauvoir et Boulogne. Les trajets sont facilités par la ligne de chemin de fer qui dessert Beauvoir-Wavans. Par ailleurs, Marie Decrept a une voiture et conduit, ce qui est rare pour l’époque.
Maurice et Marie font effectuer des travaux importants à Beauvoir : « chauffage central, eau courante grâce à un réservoir métallique sous pression alimenté par une pompe électrique branchée sur un puits, salle de bain et lavabos dans les chambres, peintures et tapisseries, rideaux, etc… » (Claude Leclercq). Maurice est élu conseiller municipal de Wavans en 1935.

Scène 2 : La Seconde Guerre mondiale : un lieu de résistance

La guerre 39-45 oblige la famille de Maurice à quitter Boulogne pour s’installer au château. Maurice Leclercq « eut la vie aisée et relativement exigeante d’un enfant appartenant à une bonne famille de l’époque avec des hauts revenus, un château, une proximité proche ou lointaine avec beaucoup de familles connues de la région, une forte reconnaissance sociale », écrit son petit-fils Claude Leclercq.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, une partie du Château de Beauvoir est occupée par des officiers allemands. Beauvoir est en zone interdite. Durant l’exode, le château est pillé puis occupé par les Allemands.

Maurice entretient des liens avec l’armée britannique qu’il a côtoyé durant la Première Guerre mondiale. De Beauvoir, il communiquer des informations aux anglais par pigeon voyageur. Cela lui vaut une décoration des autorités britanniques et un grade honoraire d’officier dans l’armée de sa Majesté.

Claude Leclercq décrit cet épisode frappant dans son livre : cliquez ici pour découvrir l’extrait.

Comme son père Florent, Maurice Leclercq s’engage de plus en plus dans la vie locale : il sera conseiller municipal de Wavans de 1935 à 1965 et maire de 1945 à 1947. Des habitants du village viennent souvent le consulter ou lui demander de l’aide en cas de problème. Il prend alors le temps nécessaire pour écouter, donner un conseil ou rechercher une solution.

Maurice s’éteint en 1979 au château, veillé par sa petite fille Danielle, dont il était très proche. Sa femme Marie, née Decrept, l’avait précédé beaucoup plus tôt, en 1961.

Scène 3 : Une splendeur retrouvée

A la mort de Maurice, c’est sa petite-fille Danielle Riss-Leclercq, qui reprend le château en 1978 avec son mari Robert. Bernard, le fils aîné de Maurice, est décédé prématurément, à 59 ans. Cela entraîne un saut de génération dans la propriété de Beauvoir.

Le château est alors en assez mauvais état. « Bon courage ! » lui souhaite d’ailleurs Guy Lemaitre lors de sa visite. Danielle s’implique énormément afin de réhabiliter et rénover les lieux. Militaire de métier, son mari, Robert Riss, n’est présent à Beauvoir que le week-end. Il se charge de l’entretien du domaine.

La vie de Danielle est alors partagée entre trois activités denses et riches :

  • sa vie de mère de famille pour ses enfants Christophe, Nathalie et Stéphane.
  • son travail de rénovation du château : elle effectuera la plupart des travaux elle-même. Grâce à son investissement prodigieux, le château est aujourd’hui extrêmement bien entretenu et réhabilité. Tous ses efforts seront récompensés avec l’inscription du château au patrimoine des monuments historiques en 2016.
  • son engagement au sein de la commune. Comme son grand-père et son arrière-grand-père, Danielle est élue maire en 1987. A son élection, elle fait le tour de tous les foyers de la commune qui compte alors 400 habitants. Danielle reste Maire de Beauvoir-Wavans durant 27 ans ! Elle est très appréciée par la population du village qu’elle soutient et aide le mieux possible.
Danielle Riss, sur le perron de Beauvoir, lors des Journées du patrimoine de 2004

En résumé : la famille de Beaulaincourt- Leclercq à la mairie de Beauvoir-Wavans

Le château de Beauvoir a donc traversé les siècles et ses événements les plus terribles. Ses tilleuls, plantés par Ange Guislain juste avant la Révolution française, sont également toujours présents et observent la génération d’aujourd’hui : Danielle, ses enfants et ses petits-enfants qui ont plaisir à s’y retrouver.

Epilogue : Une “maison à femmes”

Le château de Beauvoir est une « maison à femmes », comme le dit Danielle. Au cours de son histoire, il s’est surtout transmis par des femmes : il nous vient de la cousine d’Albertine de Génevières de Samette, puis de cette dernière. Il a été investi ensuite par Marie Albertine de Beaulaincourt puis par Marie Guichard et aujourd’hui c’est Danielle Riss-Leclercq qui en prend soin.

Isaure, la petite-fille de Danielle, se verrait bien y vivre un jour. Cette jeune fille a visiblement hérité des talents d’écrivain de la famille (Marie Guichard, la romancière, Maurice et Bernard Leclercq les journalistes) puisqu’elle a déjà publié plusieurs romans. Par ailleurs, elle fait des études de droit tout comme ses aïeux Henri Guichard et Florent Leclercq…

Tous les petits-enfants de Danielle sont très attachés à cette demeure. La tradition devrait donc se maintenir et le château de Beauvoir devrait continuer à être habitée par la famille pendant encore quelques années.

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